Interview de Geneviève Lebouteux
par Roger Gautier
sur "Lumière dhomme" pour la revue "Terra Incognita"
à paraître (date encore non précisée)
Que sous-tend le choix du titre " Lumière d'Homme " ?
Jai eu des difficultés pour trouver un titre à mon roman. Le premier titre qui métait venu était " Jai cherché Dieu ", qui reprend les premiers mots du texte mais la plupart des lecteurs du manuscrit me lont fortement déconseillé, cela risquait de " marginaliser " le roman dans un domaine exclusivement religieux ! Ces premiers lecteurs mont alors proposé de nombreux titres et jai retenu " Lumière dhomme ". Il me plait beaucoup. Dabord il est lumineux et jespère que le livre lest aussi. Ensuite, il laisse entendre que la lumière de cet homme peut-être la sienne propre, celle qui jaillit de lui-même, comme elle peut être aussi extérieure à lui. Dans le récit, il y a les deux, même si pour moi elle est avant tout intérieure Mais où sont les limites entre lintérieur et lextérieur, cest une autre questionQuelles recherches documentaires vous ont permis de parvenir à restituer une vie monastique d'autrefois, avec beaucoup de justesse, me semble-t-il ?
Jai lu plusieurs ouvrages sur la vie monastique et son histoire, jai trouvé lintégralité de la Règle de Saint-Benoît sur un site internet et jai utilisé de vieux souvenirs de visites dabbayes. Jai fait relire lensemble du manuscrit à un ancien moine. Cela ma permis daméliorer le texte, notamment en ce qui concerne le rôle du frère Prieur et celui de lassemblée du Chapitre.
Comment vous, femme, avez-vous pu restituer un cheminement psychologique d'homme, avec tant de finesse ?
Je me suis
glissée dans la peau de chacun des personnages. Au moment où jécrivais une
scène, je ressentais les émotions que vivait le personnage. Curieusement, cela a été
plus facile de me glisser dans des " peaux masculines " que dans la
seule " peau féminine " du roman. Il me semble que je me dévoilais
davantage en endossant un personnage féminin quavec des personnages masculins et
cela nétait pas aisé pour moi. Je nai pas conscience davoir restitué
un cheminement psychologique dhomme, une femme aurait sans doute pu avoir un
cheminement fort semblable, non ?
Nous avons tous en nous des aspects féminins et masculins que chacun développe et
extériorise plus ou moins, quelque soit son sexe. Un travail décriture qui fait
vivre des personnages différents nous amène à découvrir que nous sommes beaucoup plus
riches et complexes que nous ne pensions.
En commençant l'écriture du roman, aviez-vous une idée clairement arrêtée de l'aboutissement de l'histoire, ou bien avez-vous en quelque sorte été aux prises avec votre personnage tourmenté, comme s'il était un être réel à aider ?
En commençant lécriture du roman, je navais que le début de lhistoire _ un moine qui va mourir et qui est en colère contre Dieu car il ne La pas trouvé _ et le fil directeur suivant : il ne mourra finalement pas (pour quil y ait une histoire) et il trouvera " le Divin " ou " sa lumière " dune tout autre façon que le chemin monastique, par petites touches. Jai démarré ainsi et lhistoire sest construite au fur et à mesure, les personnages sont apparus au fur et à mesure également. Je nai pas été aux prises avec mon personnage tourmenté comme vous dites, jétais plutôt dans la position de celui qui laccompagne de façon bienveillante et le respecte dans son chemin. Il est arrivé quil me surprenne, par exemple quand il réagit dune façon très froide en apprenant lexistence de Louise : ce nétait pas ce que janticipais pour lui mais cest ce que jai ressenti en lécrivant, alors je lai respecté. Je navais pas besoin de laider car je savais que lissue serait heureuse, quil trouverait ou au moins approcherait cette lumière.
Ne pensez-vous pas que le dénouement de l'histoire est un peu rapide et convenue, peut-être pour donner satisfaction au lecteur ?
Vu maintenant avec du recul, je conviens que le dénouement est un peu rapide. La première version létait encore plus et beaucoup de lecteurs du manuscrit me lont dit. Je lai allongée. Je restais assez obsédée par le fait de faire un roman de 200 pages (cest ce quil fait) car " au delà, pour un premier roman, les éditeurs ne prennent pas ". Jai donc accéléré à la fin mais cela correspondait aussi au fait que le personnage avait beaucoup changé et que ses décisions étaient aussi plus franches. La fin est-elle convenue ? Je ne pense pas, cest vrai que plusieurs lecteurs sy attendent mais pas tous, certains sont étonnés. Jai surtout voulu respecter la logique de lévolution de mon personnage et je nai pas cherché à faire une fin surprenante pour le simple plaisir intellectuel ou deffet littéraire. Quand je suis moi-même lectrice, je naime pas les romans où le lecteur doit lui-même imaginer la fin, je reproche à lauteur de ne pas prendre position. Alors je me suis engagée en choisissant cette fin, elle exprime à mon avis assez bien le sens de lévolution de mon personnage principal.
La nature et l'amour semblent être les deux thèmes majeurs de vos deux ouvrages . " Lumière d'homme " est-il aussi un " Conte d'amour et d'eau fraîche " ?
La nature est
très présente dans mes deux ouvrages car pour moi elle exprime fort bien mes deux
thèmes majeurs, lamour et la liberté. On reçoit dans notre culture occidentale
une image de lamour qui na pas grand chose à voir avec lamour ouvert,
lamour qui laisse libre, lamour sans besoin (ce qui ne veut pas dire sans
désir). Cest cet amour-là qui me passionne et que je cherche à partager dans mes
écrits. Un amour qui nous fait grandir et nous libère, qui na non plus rien à
voir avec le sens catho du sacrifice car il commence par soi-même.
Alors, pour répondre à votre question, " Lumière dhomme " est
un conte damour et deau fraîche, si on veut. A la différence du conte,
jai tout fait pour que lhistoire soit réaliste, crédible, correctement
située dans son époque, mais du point de vue du fond, ce nest pas
lessentiel. Lessentiel cest que ce soit lhistoire dun homme
qui se réconcilie avec lui-même et donc avec la vie.
Vos intentions sont-elles subversives ?
Elles ne le sont pas délibérément car je ne cherche à convaincre personne, sur ce plan, cest dailleurs impossible à mon avis. Je cherche juste à partager. Japprécie par contre que ce que jécris puisse avoir un effet subversif ou, sans aller aussi loin, bousculant car jai hâte de voir dautres valeurs se répandre dans notre société. Le respect de soi-même, de ce que lon est en profondeur, déjà. Le respect des autres, le respect de la Terre, tout le reste peut suivre ensuite.
Votre style, dans " Lumière d'homme " est sobre et limpide, avec quelques fioritures de bon goût, et en accord avec le sujet de l'histoire. Est-ce un procédé savamment travaillé ou bien est-ce pour vous une manière naturelle d'écrire ?
Cest un peu des deux. Je retravaille et peaufine beaucoup mes textes pour les rendre agréables à lire, clairs, légers. Je nai pas pour autant didée préconçue sur ce qu'est un beau texte, une belle écriture, un beau style. Chacun a ses propres goûts je pense. Donc je nai pas de modèle (ou alors il est inconscient) auquel je chercherais à faire ressembler mes textes. Comme ça je suis moi-même et ça me convient bien.
Votre roman est-il le couronnement de votre travail d'écriture, ou un début prometteur ?
Je nai commencé à écrire pour mon plaisir quen 1997, " Cur contre cur, contes damour et deau fraîche " a été publié en 1998 et " Lumière dhomme " fin 2000. Jai encore envie décrire et le sujet dun deuxième roman me trotte dans la tête. Jose donc espérer quil sagit dun début prometteur. Cest en tout cas ce quespèrent les nombreux lecteurs qui me disent attendre impatiemment un second roman ainsi que les deux jurys littéraires qui ont récompensé " Lumière dhomme ".